À l’ère du quantified self et des réseaux sociaux sportifs, un nouveau phénomène alimente les discussions dans les pelotons connectés : le Strava Jockey. Ce mot-clé, aussi intrigant que révélateur, désigne une pratique qui défie l’éthique du sport d’endurance : payer un athlète pour rouler ou courir à sa place, dans le but de gonfler artificiellement ses statistiques sur Strava. Pour les amateurs d’ultracyclisme, ce phénomène soulève de sérieuses questions sur la légitimité, la triche et la quête de reconnaissance numérique. Plongée dans l’envers du décor.
Qu’est-ce qu’un Strava Jockey ?

Une pratique en pleine expansion
Un Strava Jockey, c’est un sportif (souvent aguerri) qui propose ses services pour effectuer une sortie à la place d’un autre, en respectant des consignes précises : distance, vitesse moyenne, type de terrain, ou encore dénivelé. L’activité est ensuite transférée via un fichier .gpx ou .fit et publiée par le client sur son propre compte Strava.
Une ubérisation du sport de performance
La relation est simple et directe : une commande, une prestation, une illusion de performance. Les plateformes utilisées ? Leboncoin, Instagram, Facebook, X. Les tarifs ? Variables : de 10 € pour une sortie de 10 km à 200 € pour un marathon ou une sortie cycliste montagneuse.
Pourquoi des sportifs paient pour tricher ?

Les motivations cachées des clients
- Image sociale : Les kudos valent autant que des likes. Dans un monde digitalisé, l’apparence sportive devient une monnaie sociale.
- Recherche de sponsoring : Certains cherchent à impressionner des marques pour décrocher un contrat.
- Alibi stratégique : D’autres utilisent ces faux entraînements pour justifier une absence (médicale, relationnelle…).
- Pression de groupe : Comparaison constante entre amis Strava oblige à rester dans le haut du classement.
Quand l’ego prend le guidon
Le cyclisme comme la course à pied sont des disciplines exigeantes par excellence, est fondées sur la résilience, le dépassement de soi, la solitude face à l’effort.
Faire appel à un Strava Jockey revient à falsifier l’essence même de ce sport. L’effort n’est plus vécu mais simulé. Ce qui compte, c’est ce qui est affiché.
Les risques et dérives du phénomène

1. Éthique sportive compromise
Le recours à un jockey constitue une forme de triche moderne, difficilement détectable. Pour un segment KOM ou une Local Legend, cela fausse la compétition et nuit à l’équité entre sportifs.
2. Santé et exploitation des jockeys
Certains jockeys, souvent étudiants ou semi-pros, enchaînent les commandes, flirtant avec le surentraînement. Pour 10 € la sortie, leur santé est parfois sacrifiée sur l’autel de la performance d’autrui.
3. Vie privée en péril
En publiant des données GPS générées par d’autres, les utilisateurs s’exposent à des incohérences de localisation, voire à des failles de sécurité. Certains Strava Jockeys révèlent involontairement la position d’un domicile ou d’un lieu sensible.
L’impact sur l’écosystème Strava
Une performance virtuelle vidée de son sens
Strava, avec ses classements, badges, trophées et segments, est un moteur de motivation. Mais à trop vouloir briller, on perd de vue l’essentiel : le plaisir de rouler pour soi. Le phénomène des Strava Jockeys transforme le sport en gamification toxique, où les performances sont achetées plutôt que conquises.
La réaction de la communauté
Certains clubs Strava privés mettent désormais en place des règles internes : publication de photos obligatoires, synchronisation directe avec montres connectées, vérification manuelle des données. D’autres vont jusqu’à bannir les utilisateurs suspectés de triche.
Quelques témoignages : l’envers du guidon
« J’ai été tenté de payer un Jockey pour battre un KOM local… mais j’ai vite réalisé que je ne pouvais pas me mentir à moi-même. » — Loïc, 42 ans, cycliste ultra.
« Je pensais que c’était drôle, jusqu’à ce qu’un vrai coureur me demande en message privé pourquoi j’avais triché. J’ai supprimé l’activité. » — Clara, 30 ans, cadre parisienne.
Peut-on détecter un Strava Jockey ?
Pas facilement. Mais voici quelques signes qui peuvent alerter :
- Activité très différente du style habituel de l’utilisateur
- Pas de photo, ni de fréquence cardiaque enregistrée
- Vitesse ou dénivelé exceptionnellement élevé
- Segment KOM conquis par surprise
Que faire face à cette dérive ?
Pour les plateformes :
- Intégrer des mécanismes de vérification (capteurs couplés, fréquence cardiaque, cadence…)
- Créer une charte d’usage contre la fraude
Pour les sportifs :
- Revenir à l’essence de l’effort
- Privilégier les objectifs personnels sur la reconnaissance sociale
- Partager ses sorties pour inspirer, pas pour impressionner
Le phénomène des Strava Jockeys n’est pas anodin. Il révèle une faille dans notre manière de consommer le sport, comme une performance à afficher plus qu’un effort à vivre. Pour les passionnés de vélo, gravel et running, cette dérive est un non-sens : chaque kilomètre, chaque col gravi, chaque nuit passée à pédaler est une victoire réelle, et non une illusion numérique.